Certains
animaux sont possédés du diable à périodes déterminées. Le soir
du carnaval, ce sont les chats qui se réunissent à l'Ormeau
Robinet, nœud de route plus connu sous le nom de Timbre aux
Chats, parce qu'il y a dans cet endroit pour l'usage des chats
un timbre, c'est-à-dire
une auge. Elle est en granit. L'Ormeau Robinet est au croisement
sur la route de la Chapelle. Saint-Laurent à Moncoutant, de
l'ancien chemin de Pugny et de celui qui lui faisant face va se
perdre dans les terres. Le soir du carnaval donc, le timbre aux
chats, cadeau du diable, sert à leurs diaboliques agapes. Chacun
des félins de la région y dépose les reliefs qu'il a su dérober
à ses hôtes. Le lutin fournit le complément du festin. Toute la
nuit l'air frémit de leurs miaulements effrayants, du bruit de
leurs mâchoires. Malheur à qui les dérangerait : en un clin
d'oeil, leurs griffes aiguës déchireraient l'imprudent, leurs
dents acérées le dévoreraient.
Maints
fermiers dont le timbre a tenté la cupidité l'ont emporté chez
eux. Ils ont dû le retourner. Tant qu'ils l'ont conservé, leur
maison était hantée. Des animaux inconnus rôdaient autour,
interdisant par leurs cris épouvantables, à ses habitants de
retremper dans un sommeil réparateur leurs forces épuisées,
bouleversant les travaux de la journée, dévastant les cultures,
salissant l'herbe des prés. Les animaux domestiques mouraient
d'un mal mystérieux. La ruine arrivait à grands pas. Devant
cette malédiction, le coupable réintégrait le timbre à sa place
primitive et retrouvait la tranquillité perdue. Le bétail
prospérait, les prés verts se couvraient d'une herbe luxuriante,
les moissons merveilleusement, se chargeaient du grain de vie.
La ferme revenait au bonheur des vieux jours. De loin en loin,
le maudit la visitait, mais sans avarie pour quiconque et quoi
que ce soit. Il se contentait de vaguer aux environs, de richôgner
à la fenêtre.
Un
de mes anciens amis voyait tous les soirs, depuis une huitaine,
un fantastique animal circuler autour de sa maison, s'enfuyant
quand en sortait un habitant, pour revenir quand il était
rentré. A la veillée, où l'un des voisins du maître était venu,
on décida de le tuer avec le fusil pendu à la cheminée, vieille
arme qui servit pendant la guerre de Vendée, et fut instrument
et témoin d'illustres épopées. On le chargea avec une balle
trempée dans l'eau bénite. Complaisamment, le voisin s'offrit à
lâcher le coup de feu, il prit le fusil, et, la porte
entrouverte, ajusta l'animal assis devant lui à vingt pas dans
la bande lumineuse de l'entrebâillement. Une courte lueur
sillonna l'espace, la poudre avait parlé, et la bête était
morte. On sortit avec des lumières pour la contempler. Le tireur
avait tué son chien. La balle l'avait atteint en plein cerveau,
la tête était éclatée.
On avait occis dans la maison un
cochon gras. Chaque soir depuis lors, le chien était venu
récolter sa moisson d'os. Il mourut victime de sa gourmandise...
regretté de son maître qui, s'il ne fut pas sans peur, fut sans
reproche... pour les autres.
Casimir Puichaud
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