
La Chatte Blanche
Conte de Poitou-Charentes
l y avait
une fois un roi qui avait trois enfants. Il y avait le plus jeune qui était laid
comme le péché, et le roi cherchait toujours à le détruire. Quoique ça, c'était
le plus dégourdi des trois.
Le roi était veuf ; il dit à ses
enfants :
- Celui-ci qui m'apportera la plus
belle toile, aura tout ce que je possède !
Voilà que ses trois enfants vont
chercher de la toile, les deux plus vieux ne voulant point avoir le plus jeune
avec eux ; à cause qu'il était laid, ils ne voulaient pas qu'il aille avec eux.
Ils ont tant fait qu'ils l'ont fait écarter tout de même, en s'amusant. Il s'est
trouvé dans une forêt, et, montant sur un chêne voir s'il voyait quelque maison
éclairée ; c'était en pleine nuit. Il aperçoit une clarté dans le milieu de la
forêt et le voilà dirigé du côté de cette clarté. Il tombe dans une jolie maison
; il rentre, il trouve tout à se servir, à boire, à manger, le dîner servi sur
la table. Il se met à appeler du monde, il se présente une belle chatte blanche,
qui lui dit :
- Où allez-vous, mon petit garçon ?
- Ah ! ma belle chatte blanche, quand
même je te le dirais, tu ne pourrais pas me tirer de mes peines ; je suis très
ennuyé.

oilà que
l'enfant a bien soupé ; et après, il y avait un bon feu, et la chatte blanche
lui demande quelles peines il avait. Il lui dit :
- C'est mon père qui nous envoie tous
trois chercher de la toile, la plus belle toile que nous pourrons trouver.
La belle chatte blanche lui dit :
- Coupe-moi le bout de la queue et
mets-le dans le feu ; tu auras tout ce qu'il te faudra après.
Il lui arrive un rouleau de toile, il
n'y avait pas plus beau que ça au monde. Et la belle chatte blanche disparut.
Le lendemain, en arrivant au château
de son père, c'était lui qui avait apporté le plus beau rouleau de toile. Le
point de jalousie étant monté entre ses deux frères, d'une rage qu'ils ne
pouvaient pas s'en retenir en disant :
- Ce coquin !
Mais c'est lui qui
l'aura, la fortune de mon père !
Le père leur dit :
- A présent, mes enfants, il me faut
du calicot, le plus beau de France ; celui-ci qui me l'apportera aura tout ce
que j'ai.

'est à son
tour lui qui se cache de ses deux frères pour dire :
- Je trouverai encore ma belle chatte
blanche !
Il arrive
encore à la maison, trouve tout sur la table, le dîner fait, tout servi, prêt à
manger. La belle chatte blanche arrive :
- Te voici
de retour, mon garçon !
- Ah, oui
bien ! Je suis ennuyé ! Si vous pouviez me donner tout ce que je demande. Ah !
Que je serais content !
- Mange,
mange ! Tu auras tout ce qu'il te faudra.
- Cette
fois, je veux un rouleau de calicots, le plus beau qu'il soit possible de
trouver !
La chatte
blanche lui dit :
-
Coupe-moi les deux oreilles et mets-les dans le feu ; après, tu auras ce que tu
voudras.
L'enfant
répond à la chatte :
- Ça me
fait bien de la peine, qu'il dit, de vous couper les oreilles, vous qui me
rendez tant de services !
- Marche,
marche toujours, nous nous rendons service tous les deux !

oilà que
l'enfant part avec son rouleau de calicot et arrive chez son père : c'était
encore le plus beau de tous les autres.
- Ah ! Le
petit coquin ! Mais c'est lui qui aura la fortune de notre père ! Nous sommes
perdus, mon cher frère, disait le plus vieux au cadet.
Le soir,
au dîner, le père les rappelle tous les trois :
- Allons,
mes enfants, dit-il, vous savez que je suis veuf, je veux me marier ; vous allez
partir tous les trois encore faire votre tour, et celui-ci qui m'amènera la plus
jolie femme, ça sera celui-ci qui aura tout ce que je possède.
Voilà que
les deux aînés se disaient l'un à l'autre :
- Mais où
va-t-il ce petit coquin pour être toujours notre maître ? Il faut tâcher de le
suivre pour savoir où il va
Voilà que
ses frères l'épient à passer sa route ; mais lui, étant rusé, se méfiait d'eux,
toujours traînassant derrière, et ne marchant pas le pas de ses deux frères, il
s'en va encore directement à la forêt où se tenait sa chatte blanche. Il arrive,
il trouve tout sur la table, le dîner encore prêt, et il fit comme à son
habitude ; il se mit à table et mangea. La belle chatte blanche arrive aussitôt
en lui disant :
- Tu es
bien ennuyé, mon petit !
- Oui, ma
belle chatte blanche ; si tu pouvais m'arracher de cette peine, je serais si
content !
- Oh oui,
oui ! Marche toujours ! Tout ce que tu veux est ici, rien ne manquera.

u'il dit :
- Mon père
nous envoie tous les trois, pour ramener chacun une femme. C'est pour se marier,
il prendra la plus jolie.
- Ah ! Oui
! Lui répond la belle chatte blanche, parce que ton père c'est un roi, il
voudrait une belle femme pour en faire une reine !
La belle
chatte blanche lui dit :
- Voici,
mon fils ! Tu va me prendre et me couper en deux et me faire brûler avant que tu
t'en ailles ; et te voici une petite boîte qui sera pour ramasser mes cendres
bien proprement, et tu emporteras la boîte avec toi, tu la mettras dans le coin
du jardin de ton père, et quand ton père demandera les trois demoiselles, tu
iras chercher la boîte, et la demoiselle que tu demandes sera dedans.

n effet,
quand il est arrivé, les deux autres avaient déjà présenté chacun leur femme.
- Et toi,
petit, lui dit son père, où est-elle, la tienne ?
- Elle est
ici, papa ! Je vais vous la présenter.
Quand le
petit a été chercher sa boîte, il a trouvé une belle demoiselle : c'est
impossible de voir plus beau.
- Eh bien
! Mes enfants ! Voici le plus jeune qui est devenu votre maître. C'est lui à qui
appartient ma fortune. Si vous voulez qu'on vous rende justice, faites passer ça
aux tribunaux, et vous verrez que c'est lui qui a gagné par la plus belle des
femmes.
- Ce n'est
pas trop tôt, mon père, car elle m'a coûté assez cher !
L'enfant
lui dit :
- Mais
c'est vous, ma belle chatte blanche, qui vous êtes tournée en si belle
demoiselle !
Léon Pineau
Source :
Contes, récits et légendes des pays de France, rassemblés par Claude Seignolle
|