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« chats courtauds » comme on disait à Thorigné, ou les « chats courtets
» , comme disaient les gens de la Boüexière, étaient des
bêtes du diable, qui habitaient autrefois la grande forêt de
Rennes, la forêt de Sévailles et le bois de Chevré.
Ces gros « marcaous
», qui étaient très méchants, étaient tout
noirs et n'avaient pas de queue, comme en ont les chats,
d'habitude.
Ils étaient deux fois plus grands que
des hommes, bien plus grands en tout cas que le plus grand des
gars du bourg de Liffré, qui étaient pourtant des gaillards
solides.
e soir, on en voyait qui sortaient du bois de Chevré, et qui
venaient boire à l'étang de la vallée. D'autres « chats
courtauds » sortaient de la forêt de Sévailles, et descendaient
aussi boire l'eau de la Veuvre, la rivière qui coule près de la
Boüexière. Ils se cachaient même dans les fourrés du Moulin-Ory,
près de la Veuvre, et ils attendaient les passants attardés.
Lorsqu'ils en voyaient venir, ils se jetaient sur eux, pour leur
crever les yeux.
La nuit, le pauvre meunier du Moulin-Ory
n'osait plus sortir de chez lui ; il se barricadait dans son
moulin, et il les entendait miauler toute la nuit.
'était
toujours le soir qu'ils sortaient de la forêt, et ils n'y
rentraient que quand le soleil se levait. On ne les rencontrait
jamais le jour, même en pleine forêt. Et il valait mieux ne pas
aller près du carrefour de la Grande Lune après minuit, car on
voyait alors venir ces « marcaous» par dizaines
des taillis, et leurs yeux rouges brillaient comme des charbons.
e carrefour de la Grande Lune était l'endroit de la forêt de
Rennes qu'ils préféraient, parce qu'il y avait là des grosses
pierres, toutes en rond, qui leur servaient de bancs. Ces matous
se réunissaient là pour parler de leurs affaires dans la langue
des chats, que personne d'autre qu'eux ne comprend. Si un
paysan trop curieux venait les déranger, le chef des chats
courtauds le tuait aussitôt, en lui enfonçant dans le cœur ses
longues griffes crochues, aussi aiguës que des couteaux.
es
chats courtauds allaient aussi danser le sabbat au Manoir de la Gaillardière, où il y avait eu autrefois de méchants seigneurs.
C'était « une maison à chats noirs », et les chats courtauds y
venaient souvent, parce que les seigneurs de la Gaillardière les
cajolaient, les caressaient, et leur donnaient à manger les
meilleures viandes, qu'ils refusaient aux pauvres gens du pays.