Le Père Noël et le Petit
Chat
Michèle Joubert

a neige tombait sur la ville
sans faire de bruit. Le petit chat marchait dans la neige sans faire de bruit.
Les flocons saupoudraient de blanc ses poils roux.
La rue était déserte.
C'était la nuit de Noël.
Bientôt les douze coups de
minuit allaient sonner pour la plus belle nuit de l'année.
Mais le petit chat ne le
savait pas. Il n'avait que trois mois et avait encore beaucoup de choses à
apprendre. Surtout cette nuit où il faisait si froid... et qu'il ne savait pas
où se nicher pour dormir. Il était seul pour se débrouiller, si seul et si
ignorant. Ce n'est pas comme ce gros matou gris de tout à l'heure qui l'avait
chassé du coin chaud où il s'était blotti. Il en savait des choses, lui, mais
alors quel sale égoïste ! Croyez-vous qu'il aurait partagé ce qu'il était en
train de manger ? "Va pleurnicher ailleurs" lui avait-il dit.

e petit chat marchait seul
dans la rue. Il avait faim, il avait froid. Et il regardait les fenêtres
éclairées derrière lesquelles il devait faire bon vivre.
Entendit-il sonner les douze
coups de minuit ? Ce n'est pas sûr, mais par contre, il entendit parfaitement
quelque chose passer au-dessus de lui, comme le vol d'un gros oiseau. Il
s'aplatit au sol de frayeur ; quand il osa relever le museau, un drôle d'engin
venait de se poser sur la maison d'en face. Il n'avait jamais rien vu de pareil
!
Et maintenant, voilà qu'un
gros bonhomme tout en rouge en sortait avec un sac sur le dos. Et devant le
drôle d'engin, deux grands rennes se mettaient à parler au bonhomme tout en
rouge :
- Fais attention Père Noël,
disait l'un, la cheminée n'a pas l'air bien solide !
- Te mélange pas dans ta
liste, disait l'autre, ici ce sont des rollers et une panoplie de "Mulan".
- Mais oui, mais oui... Vous
n'allez pas commencer à me surveiller quand même ! Vous savez bien que je ne me
trompe jamais.
D'en bas, le petit chat ne
pouvait pas voir si ce bonhomme avait une barbe blanche. Il lui trouva quand
même une ressemblance avec le bonhomme en manteau rouge des images qu'il voyait
partout dans la ville, depuis quelques jours.
Mais que faisait-il donc
là-haut ? Pour en avoir le coeur net, il décida d'aller voir ça de plus près.
Oui, mais comment faire pour
monter ? En passant par les escaliers ? C'est que le petit chat gardait le
souvenir cuisant des méchants coups de pied qu'on lui donnait quand il voulait
rentrer dans une maison ! Il fit donc le tour de l'immeuble, et finit par
trouver un endroit pour grimper jusqu'au premier étage. Ce ne fut pas très
difficile. Restaient deux autres étages... et avec des petites pattes gelées,
c'était pas évident !

l lui fallut sept essais
avant d'arriver en haut. Sept essais dont quatre moments d'équilibres
acrobatiques, trois griffes arrachées, et un rétablissement miraculeux. Mais ça
y était, il était sur le toit, il allait savoir.
L'engin était toujours là.
Les rennes bavardaient entre eux de choses que le petit chat tout essoufflé ne
comprenait pas. Il était question d'une liste avec des noms de garçons et de
filles, d'horaire à suivre, d'adresses, etc.
Le petit chat se dirigea
sans bruit vers l'engin.
Il était rempli de sacs, et
de paquets. Des gros, des très gros même, des plus petits, des minuscules. Tous
avaient des couleurs joyeuses et scintillantes qui lui donnèrent envie de jouer
avec. Il sauta hardiment dessus. Malheur ! Une petite musique se déclencha sous
ses pattes. Le coeur battant, il s'enfuit au fond du traîneau où il trouva un
sac à demi-ouvert, pour se cacher.
C'était tout sombre,
mais il y faisait chaud et doux. Le petit chat sentit des poils contre lui. Il
renifla pour comprendre si c'était un autre chat ou un de ces monstres de chien,
mais comme ça ne sentait ni l'un ni l'autre, et que ça ne bougeait pas, il se
blottit tout contre, rassuré. Puis il attendit.
Dehors un renne parla :
- Ce doit être un appareil
de musique qui s'est encore déclenché tout seul !
Puis le voix du vieux
bonhomme à l'habit rouge retentit, sonore et joyeuse :
- Allons-y mes amis, au
suivant de la liste !
Le petit chat sentit tout
bouger autour de lui. Il eut la sensation de s'envoler puis quelques instant
après, un coup de frein, suivi d'un choc, le déséquilibra. Son coeur battait
fort. Dehors, le vieux bonhomme riait :
- Ah ! Ah ! Ah ! Cette fois,
la cheminée est large, je vais pouvoir descendre à l'aise !
Le petit chat commençait à
sortir le museau dehors quand tout bascula brusquement. Secoué de droite et de
gauche, il roula dans le sac, parmi les paquets qui l'écrasaient.

ne grande descente dans le
vide lui remonta l'estomac dans le gosier... il miaula fort. Une main l'attrapa
par la peau du cou. Un grand rire résonna à ses oreilles.
- Mais qu'est-ce que je vois
là ? Mais croyez-vous ça ? Un passager clandestin !
Le bonhomme en habit rouge
le tenait en l'air, en riant très fort. Ses yeux riaient autant que sa bouche.
- Tu as donc voulu savoir
comment je m'y prends pour faire ma tournée ?
Mais le petit chat était
effrayé. Et il avait si faim et si froid qu'il miaulait à s'en étrangler, et
qu'il tremblait à en claquer des dents.
- Dis-moi ! Dis-moi ! Tu
n'as pas l'air si courageux que ça pour un petit curieux ! Il suffit qu'on te
découvre pour que tu appelles maman au secours ? Allons ! Voyons ! Je suis le
Père Noël, tu n'as rien à craindre de moi. Bien sûr, je devrais te punir de
m'avoir suivi, alors que personne ne doit accompagner le Père Noël pendant sa
tournée, mais comme tu viens de me donner une très bonne idée, je ne dirai rien
et je vais même te garder un petit moment avec moi.
Et le Père Noël le mit dans
la grande poche de son manteau.
C'était doux à l'intérieur,
et c'était chaud. Le petit chat s'y trouva bien de suite.
Il ne savait pas encore
qu'il allait vivre ce qui sera la nuit la plus extraordinaire de son existence.
Ah ! Si seulement il n'avait pas cette faim atroce au ventre !
Il se redressa pour sortir
le nez et pousser un petit miaulement de détresse... Peut-être que ce gentil
bonhomme comprendra son problème...
- Veux-tu bien te taire ! Tu
risques de réveiller les enfants ! Si tu veux m'accompagner, il faut rester
silencieux. Aussi silencieux que la neige qui tombe.
Le bonhomme était en train
de déposer des paquets auprès de deux paires de chaussons, tout petits, si
petits qu'ils disparaissaient sous les paquets.
- Tu vois, ici, c'est pour
Mélanie ; elle a commandé un poney en peluche et une piscine magique. Là, c'est
pour Éric, il a demandé un "établi de moulage" et une "Batmobile". Et regarde,
comme il sont gentils tous les deux, ils ont laissé une tasse de lait et des
biscuits pour moi. Ils savent que je suis un peu gourmand, tu comprends et puis,
ça me redonne des forces... Hé ! Mais qu'est-ce que tu fais ?
Le petit chat s'était jeté
sur le lait qu'il lapait en s'étranglant, tellement il buvait vite.
De retour au traîneau, le
Père Noël s'approcha des rennes avec un air mystérieux.
- Regardez qui va passer la
nuit avec nous !
Il sortit de sa poche une
petite boule de poils ébouriffés et aux babines barbouillées de lait.
- Il avait si faim le pauvre
chaton, que j'ai partagé mon goûter avec lui... enfin... disons qu'il m'en a
laissé quelques gouttes ! Allez les rennes ! Au suivant !
Le petit chat garda les yeux
écarquillés toute la nuit. Jamais il n'avait vu autant de belles choses, jamais
il n'avait vu autant de couleurs scintillantes, jamais il n'avait vu autant de
jouets, et jamais il n'aurait cru que quelqu'un puisse avoir autant de joie à
déposer toutes ces merveilles dans les maisons.
A la fin de sa tournée, le
Père Noël rentra dans une demeure où brillait un lampe de chevet dans une
chambre. Des pantoufles de grand-mère attendaient près du lit.
- Tu vois ! Ici, habite une
gentille mamy qui m'a écrit pour me demander un cadeau. Elle voudrait quelque
chose qui puisse la distraire pendant ses longs jours solitaires, et qui, en
même temps, attirerait ses petits enfants pour qu'elle les voie plus souvent.
Alors, j'ai pensé à toi. Tu seras heureux ici, regarde comme tout est
accueillant. Tu seras bien au chaud et je suis sûr que tu te régaleras... les
grands-mères savent bien faire la cuisine ! Mais chut... ne dis à personne que
tu m'as accompagné cette nuit !
Il déposa doucement le petit
chat dans une pantoufle, lui fit un gros bisou, et attendit qu'il s'endorme, le
museau niché entre les pattes, le cœur à jamais étoilé de cette merveilleuse
nuit de Noël.

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